Études littéraires, 42/1
L’analyse et la critique littéraire se prêtent particulièrement bien au motif de l’architecture. Les métaphores entre la littérature et l’architecture ne manquent pas : tel un architecte, un auteur est créateur de son œuvre, il en conçoit les fondations, voit évoluer la structure de son travail, et finit par habiter, explicitement ou plus subtilement, le projet qu’il a formé ou qu’il voit se dérouler sous la plume. Que son ouvrage soit fictionnel ou autobiographique, l’auteur s’y investit en travaillant ou retravaillant des souvenirs, des fantasmes, des observations, des topoï ou des mythes connus de tous. Les couches successives qui mènent à la version définitive d’un texte peuvent être vues comme autant de « brouillons de soi » (P. Lejeune) — un architecte n’est-il pas un constructeur espérant concrétiser une vision toute personnelle du monde et de l’espace ? Sans chercher à déceler dans chaque texte littéraire des indices autobiographiques, on doit remarquer que la construction d’une œuvre relève souvent du domaine de la projection : projection de ses propres obsessions dans l’imaginaire puis dans le matériau écrit, mais aussi projection comprise comme domaine de tensions entre les souvenirs, le moment de l’écriture et la vision de l’œuvre achevée. La place que tiennent l’imaginaire, le mythe et les motifs de construction et destruction dans ces formes architecturales reflètent le rôle du processus d’invention et de vision dans tout projet artistique, qu’il soit littéraire ou plastique. Ce regroupement d’articles, qui comprend des études allant de la période médiévale à la littérature contemporaine, permet ainsi d’envisager la question de l’architecture en littérature suivant plusieurs perspectives : celle de la narratologie, celle du rôle de l’imaginaire dans la construction littéraire, celle du mythe, celle de la réécriture, et celle des échos entre représentations (visuelles, d’objets) et création. Par des études qui cernent la place cruciale que jouent les structures souterraines, le rapport au temps, à l’espace et aux représentations visuelles, les liens complexes entre le concret et l’imaginaire, dans le matériau littéraire, ce volume pose des questions centrales à la définition même de la littérature.
Préface
Littérature et architecture : construction, mémoire et imaginaires - Élise Hugueny-Léger
Études
Mémoires médiévales
Architecture médiévale et art de la mémoire dans À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust - Guillaume Perrier
Poésie et structures imaginaires
Architecture et intimité dans Illuminations d’Arthur Rimbaud - Giovanni Berjola
Réécrire l’origine poétique au XXe siècle : l’expérience du Bestiaire ou cortège d’Orphée de Guillaume Apollinaire - Julie Dekens
Constructions spatiales et narratives: L'univers romanesque
L’architecture dans les romans de Sarraute et de Perec : manipulations et détournements - Laëtitia Desanti
L’enfer d’un paradis remémoré dans Kamouraska d’Anne Hébert - Jean-Pierre Thomas
Ombres et lumières. Architecture énonciative dans Le pays (2005) de Marie Darrieussecq - Philippe Willocq
Postface
L’architecture « à même » - Élodie Laügt
Analyses
Pourquoi donc pas ? L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam et la rédemption artificielle - Maia Beyler-Noily
Le retour en Afrique. Voyage et mémoire chez Le Clézio et Joris - Alex Demeulenaere
Sand et Djebar : sur la voie (voix) de Shéhérazade - Monia Kallel
Débat
Mathieu Bélisle, Le drôle de roman. L’oeuvre du rire chez Marcel Aymé, Albert Cohen et Raymond Queneau, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010. - Alain Vaillant
Réponse à Alain Vaillant - Mathieu Belisle